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Le vin

 

D'un regard il me fit plus belle,
Et je pris cette beauté sans remord.
Heureuse, j’avalai une étoile. 

S'il veut bien, qu'il me réinvente
à l'image de mon reflet
dans ses yeux. Je danse, je danse
dans le flot de mes ailes soudaines.

Table est table, vin est vin
dans un verre qui est un verre
se dressant sur la table dressée.
et moi, je suis imaginaire,
sans mesure imaginaire,
jusqu'au sang imaginaire.

Je lui parle de ce qu'il veut :
des fourmis qui meurent d'amour
sous l'étoile dent-de-lion.
Je lui jure qu'une rose blanche
arrosée de vin, fredonne.

Je ris, et je penche la tête
prudente, c'est un premier test.
Et je danse, et danse encore
dans ma peau tout étonnée,
dans ses bras qui me conçoivent.

Eve de la côte, Vénus de l'écume,
minerve du front de Jupiter,
furent plus réelles que moi.

Quand il ne me regarde plus
En vain je cherche mon reflet
sur le mur. Et je ne vois
qu’un clou, nu, et sans tableau.



Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer,
Poèmes 1957–2009,
trad. Piotr Kaminski,
Poésie/Gallimard

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